Mon solaire - maison c’est NON !
6 juil. 2021
Par Céline COUTEAU et Laurence COIFFARD
Le DIY, des cosmétiques sans ingrédients chimiques
Combien de fois avons-nous vu cette phrase sur différents supports disponibles sur internet ? De Pinterest à Facebook en passant par Tik Tok ou les sites des blogueurs/blogueuses, le terme « ingrédients chimiques » est agité sous le nez du lecteur comme un véritable épouvantail. Taper « recettes - maison solaire » sur le clavier de votre ordinateur et vous verrez arriver vers vous une série de lieux communs qui ont pour but de stigmatiser les produits de protection solaire du commerce. On nous parle de « crèmes solaires nocives pour la peau et pour l’environnement »,1 de « perturbateurs endocriniens et d’ingrédients cancérigènes »,2 « d’ingrédients toxiques »,3 « pour notre santé et pour les océans ».4 Les recettes-maison, quant à elles, sont présentées comme « 100% naturelles et sans risque ».5 Donc d’un côté, nous dit-on, il y aurait des cosmétiques industriels dangereux et de l’autre des cosmétiques - maison parés de toutes les qualités. Faut-il adhérer à cette idée ? Non bien sûr !
Le DIY, une activité non encadrée réglementairement
Le DIY pour Do It Yourself peut se traduire par « le Fais-le toi-même » ou le « Fait-maison » ; cette expression peut être complétée, à notre goût, de la façon suivante « et ne viens pas te plaindre si tu as ensuite des problèmes ». En effet, cette pratique qui consiste le plus souvent, en l’échange de recettes de particuliers à particuliers, n’est absolument pas réglementée. Là où un l’industriel doit faire face à maintes obligations dès lors qu’il veut commercialiser un produit cosmétique (il devra dans ce cas connaître la réglementation européenne sur le bout des doigts et rédiger avec soin un DIP (Dossier Information Produit) comportant tous les éléments en faveur de l’efficacité et de la sécurité d’emploi du produit en question), le particulier adepte de recettes - maison est lâché en liberté dans la jungle cosmétique. Il ne prend, en général, pas de précautions verbales pour se protéger vis-à-vis de la survenue d’accidents. Rares sont les sites sur lesquels figurent des « avis de non responsabilité ». Lorsque c’est le cas, on peut admirer les termes choisis : « N’utilisez PAS d’écran solaire fait maison à moins que vous ne soyez 100 % à l’aise avec l’idée. C’est votre choix et vous êtes responsable de votre propre sécurité. Bien que nous utilisions avec succès nos recettes depuis plusieurs années sur nous, nos ami.e.s et les membres de nos familles, aucun test n’a été fait en laboratoire pour valider leur efficacité. Les crèmes et beurres solaires maison n’offrent aucune garantie de protection, puisque la méthode de fabrication et d’entreposage peut réduire l’efficacité du filtre minéral. ».6 Voilà c’est dit, « Fais le toi-même et ne viens pas te plaindre si tu fais un coup de soleil et un cancer cutané après » !
Le DIY, une activité encadrée... par des non experts
Sans parler même d’expertise, le DIY est le plus souvent proposé par des personnes qui n’ont pas de formation dans le domaine cosmétique. Certaines nous le disent d’ailleurs avec beaucoup d’humour : « Dans le top 10 des choses qu’on n’aurait jamais imaginé faire un jour, fabriquer son propre écran solaire aurait probablement été en tête de liste, suivi de près par « gravir le Kilimanjaro ».7 Directrice artistique pour une agence de pub,8 naturopathe,9 maman qui se questionne sur un monde où la consommation est « effrénée »,10 maman-médium11... les profils des personnes postant des recettes sur le net sont divers et variés. Leur point commun : une absence totale de formation en matière cosmétique.
Le DIY, des tests d’efficacité au doigt mouillé
Comme le consommateur est habitué à voir figurer un SPF (Sun protection Factor) sur les crèmes solaires du commerce, la plupart des blogs mentionnent des valeurs concernant les produits formulés. Des SPF fantaisistes sont attribués à un certain nombre de corps gras et d’huiles essentielles. On citera par exemple l’huile essentielle de menthe (SPF 7) ou l’huile de pépins de framboise.12,13 L’huile d’olive est également présentée comme un ingrédient anti-solaire de choix.14
Pour notre part, nous avons testé dans notre laboratoire de la faculté de pharmacie, une quinzaine de recettes-maison, démontrant leur piètre efficacité, les SPF obtenus in vitro allant de 1 à 5.15 Nous rappellerons ici, qu’en application des recommandations européennes, un produit dont le SPF est inférieur à 6 ne peut pas être qualifié de produit de protection solaire.
Le DIY solaire, une activité risquée
En 2017, l’ANSM avait mis en garde les fabricants de cosmétiques en matière de communication en indiquant qu’une huile végétale type huile de karanja ne pouvait aucunement être considérée comme un produit solaire.16 Outre la communication en direction des fabricants de cosmétiques, il serait indispensable de mettre en place une campagne visant à sensibiliser le consommateur sur l’inefficacité des recettes - maison de crèmes solaires et donc leur dangerosité. Pour notre part, nous avons commencé à communiquer sur le sujet, via des posts sur les réseaux sociaux. En matière de cosmétique, rien ne vaut l’expertise d’un bon professionnel.
En résumé, en conclusion
Pour être bien protégé, rien ne vaut un produit de protection solaire renfermant une association de filtres UV choisis parmi ceux présents à l’Annexe VI du Règlement (CE) N°1223/2009. Ces filtres UV qui ont fait preuve de leur efficacité et de leur innocuité doivent être incorporés en dose suffisante et adaptée au SPF visé. Il est judicieux de réaliser des associations de filtres organiques et inorganiques (dioxyde de titane, en particulier), afin de combiner les avantages et caractéristiques de chacune de ces familles de molécules. Il est également bon de souligner que les filtres minéraux doivent être utilisés sous forme nanoparticulaire et non sous forme pigmentaire pour une efficacité anti-solaire réelle.
Enfin, il est utile de souligner qu’une molécule naturelle n’est pas, par définition, plus sûre qu’une molécule de synthèse, que toutes deux sont des molécules « chimiques », composées d’atomes. Quant à l’effet perturbateur endocrinien, il ne doit pas nous empêcher, ni de dormir, ni de bien nous protéger des UV. Les blogueuses qui nous recommandent de nous tartiner d’huile d’olive avant de nous exposer au soleil ont elle connaissance de la présence de lutéoline dans leur ingrédient fétiche ? Ah, au fait, la lutéoline est un phyto-œstrogène, perturbateur endocrinien. CQFD !
Maître de conférences en pharmacie industrielle et cosmétologie, Université de Nantes
Professeur en galénique et cosmétologie, Université de Nantes
Bibliographie
1 https://alternativi.fr/diy-3-recettes-naturelles-de-creme-solaire/534
2 https://planetaddict.com/creme-solaire-maison/
3 https://www.comment-economiser.fr/fabriquer-creme-solaire-naturel.html
4 https://www.consommerdurable.com/2018/07/creme-solaire-maison-bio/
5 https://www.carnetgreen.fr/2017/07/recette-creme-solaire-maison-facile-naturelle.html
6 https://lestrappeus.es/recette-de-creme-solaire-diy/
7 https://lestrappeus.es/recette-de-creme-solaire-diy/
8 https://mamanzerodechet.com/bienvenue-sur-maman-zero-dechet/
9 https://www.naturopathe-brest.com/a-propos-de-moi
10 https://takaterra.com/fr/qui-sommes-nous
11 https://ecomaman.fr/?page_id=1753
12 https://planetehealthy.com/faire-creme-solaire-maison-naturelle-ecologique/
15 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33047478/
16 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/non-l-huile-de-karanja-n-est-ni-un-filtre-solaire-ni-un-produit-de-protection-solaire-138/